Le collectif à la rencontre d’une magistrate engagée contre la criminalité organisée, Audrey Jouaneton
Vendredi 17 juin, les membres du collectif Avanti ont eu le plaisir d’échanger longuement avec la magistrate Audrey Jouaneton actuellement à la tête des Agences de gestion des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) de Lyon et de Marseille. Elle faisait auparavant partie de la Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille (JIRS) et elle était à ce titre en charge de nombreux dossiers sur le banditisme corse qu’elle a d’emblée qualifié de « mafieux » en raison de ses dynamiques, de ses ramifications et de ses liens avec la classe politique insulaire et nationale. Elle a notamment rédigé un rapport dont certains extraits sont sortis dans le quotidien Le Monde en octobre dernier, sous la plume du journaliste Jacques Follorou. Tout en regrettant l’absence de retombées de ce document, malgré son caractère très détaillé, elle a tenu à préciser son objectif. Il s’agissait de livrer un état des connaissances le plus détaillé possible à ses successeurs afin qu’ils puissent appréhender au mieux les caractéristiques des clans mafieux corses. Ce travail pourrait donc constituer à l’avenir la pierre angulaire de la réponse judiciaire, si toutefois la classe politique se décidait à engager les moyens nécessaires pour endiguer ce phénomène qui continue de disséminer des cadavres un peu partout sur l’île de beauté.
Il a bien évidemment été question de l’antenne de l’AGRASC à Marseille qui a débuté ses activités en novembre 2021 et présente déjà des résultats très encourageants. D’une manière générale, ce sont toutes les agences du même nom disposées sur le territoire et dirigées au niveau national Par Nicolas Bessone, qui sont montées en puissance, signe d’une volonté politique accrue dans ce domaine. Les saisies ont fortement augmenté en métropole et en outre-mer car les pouvoirs publics ont parfaitement compris que la confiscation des biens et des richesses constituait la réponse la plus efficace contre le crime organisé, suivant en cela le modèle précurseur du voisin italien. En revanche, en ce qui concerne la redistribution et l’usage social de tels biens, la France en est encore aux balbutiements puisque pour l’heure seul un appartement a été attribué à une association qui prend en charge des femmes qui tentent de sortir de la prostitution. Quoi qu’il en soit, il semble plus que jamais nécessaire de convertir en cadre légal et donc en action publique des intentions et des projets formulés à différents niveaux : Parlement européen, opérateurs judiciaires, militants associatifs. Outre la synergie indispensable des services de l’Etat et la mise à disposition de moyens humains et financiers les concernant, nous entendons ainsi encourager un dialogue permanent entre citoyens, fonctionnaires et représentants politiques afin de faire émerger des idées et des réponses concrètes, efficaces, contre ce qui constitue l’une des menaces principales envers la démocratie puisque les organisations criminelles sont en mesure de pervertir les règles du marché et celles de la compétition politique en raison de leurs capacités à corrompre ou à menacer.
Madame Jouaneton a dressé un tableau quelque peu inquiétant de la présence grandissante d’organisations criminelles françaises et étrangères sur notre territoire avec notamment le déploiement des clans nigérians dans les quartiers Nord de Marseille et la violence accrue qui en résulte, en premier lieu au détriment des habitants de ces quartiers populaires en grande partie livrés à eux-mêmes puisque l’Etat ne s’y manifeste bien trop souvent que par la seule présence policière. Une présence souvent contestée pour sa politique du chiffre qui vise avant tout les petits vendeurs plutôt que les gros trafiquants, même si madame Jouaneton a rappelé, à juste titre, que ces « petites mains » constituaient les derniers maillons d’une chaîne illicite qui contribue à la détérioration de la qualité de vie dans ces quartiers, en intimidant, agressant, voire en expulsant certains habitants, afin d’utiliser leurs logements comme « appartements nourrices ».
Loin de l’image trop souvent diffusée par les médias, et relayée par certains syndicats de police, d’un conflit latent entre magistrats et policiers, Elle a rappelé les nombreux succès obtenus grâce à la coordination entre les Parquets et les forces de l’ordre, aspect fondamental de la réponse judiciaire qui s’est traduit par des condamnations très lourdes au cours de ces dernières années. Ces succès, trop peu mis en avant, contredisent l’idée d’un prétendu laxisme de la justice brandi de manière opportuniste par des entrepreneurs politiques et des marqueurs d’opinion.
Dans la perspective d’une approche à la fois historique et sociologique qui s’intéresserait à l’incidence des événements sur les parcours de vie, il convient de souligner ici que madame Jouaneton appartient à la promotion 1992 de l’école nationale de la magistrature, au même titre que Nicolas Bessone. Une promotion qui avait décidé de se rebaptiser « Falcone » en hommage au juge assassiné le 23 mai de la même année. Cette figure a semble-t-il inspiré la magistrate dans ses engagements et ses choix de carrière, comme cela a pu être le cas en Italie également pour de nombreux procureurs.
En tant que citoyens, chercheurs et militants, nous souhaitons désormais que son exemple inspire à son tour les futurs magistrats qui ont intégré, ou intégrerons à l’avenir, l’école nationale de la magistrature. Le patrimoine de connaissances établi par les différents opérateurs judiciaires doit être mis en valeur et les personnels formés correctement afin de faire sentir la volonté de l’Etat dans la défense d’une société transparente et égalitaire qui sanctionne sévèrement ceux qui portent atteinte aux fondements de notre modèle démocratique et républicain.