Extrait du journal Le Monde du 27 octobre 2021 – Article écrit par Jacques Follorou
Un rapport confidentiel de la JIRS de Marseille, récemment révélé par « Le Monde », avertit que « le banditisme corse revêt toutes les formes du phénomène mafieux ».
Le pouvoir politique en Corse, par la voix du président du conseil exécutif, Gilles Simeoni, et de la présidente de l’Assemblée insulaire, Marie-Antoinette Maupertuis, demande au gouvernement « de communiquer aux institutions et aux citoyens de l’île les éléments en sa possession sur la réalité et l’ampleur de ce que la justice qualifie de système mafieux en Corse ». Ces propos font suite à la révélation, par Le Monde, samedi 23 octobre, d’un rapport confidentiel sur le banditisme corse de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille, chargée du crime organisé. Une requête relayée par des collectifs antimafia.
Début 2020, la JIRS de Marseille avait transmis à la chancellerie un document d’une centaine de pages pour défendre la création d’un pôle antimafia doté de pouvoirs spéciaux afin de faire reculer un fléau mafieux qui défie l’autorité de l’Etat en Corse. Pour soutenir leur cause, les magistrats de la JIRS ont livré une analyse fouillée du système criminel insulaire. Leur conclusion est sans appel : « Le banditisme corse revêt toutes les formes du phénomène mafieux. » En réponse, le ministère de la justice a estimé qu’il considérait que l’organisation judiciaire en matière de crime organisé « fonctionnait plutôt bien ».
« Une prise de conscience précieuse »
Les deux plus hauts représentants du pouvoir insulaire réclament ces informations pour nourrir un débat qu’ils entendent organiser, « dans les prochains mois », sur « la situation mafieuse ou prémafieuse en Corse ». Ils promettent qu’il sera « un moment fondateur de la rupture avec les mécanismes qui gangrènent la société corse ». Selon eux, la lutte contre l’emprise mafieuse figurait « au cœur des engagements pris devant le peuple corse » lors de leur campagne victorieuse, en juin 2020, des élections territoriales, pour « construire une Corse réellement démocratique, affranchie des logiques de bandes et de factions ».
Cette session spéciale avait été annoncée dès octobre 2019 par le conseil exécutif de Corse, après l’assassinat, le 12 septembre 2019, d’un jeune nationaliste, Maxime Susini, point d’orgue d’une série d’actes criminels sanglants ayant touché l’île. Quelques auditions préparatoires avaient eu lieu ensuite, mais elles n’avaient concerné qu’un petit cercle de personnes et s’étaient interrompues à cause de la crise sanitaire et de l’élection territoriale.
L’exécutif corse, qui n’avait plus, depuis, donné suite à cette promesse, pointe comme responsables « des services de l’Etat [qui] ont refusé de participer à ces travaux, un choix (…) incompréhensible ». Mais la révélation du contenu du rapport de la JIRS apporte, selon lui, « des faits nouveaux », pointant « l’interpénétration du banditisme, de l’économie et de la politique », sur lesquels « il est plus que jamais indispensable que l’Etat fasse le choix de la transparence ».
Deux collectifs antimafia, issus de la société civile, nés de la vague d’émotion suscitée par la mort de Maxime Susini, ont appelé le gouvernement à ouvrir un débat public national sur l’emprise mafieuse dont souffre la Corse. Le collectif Avanti ! explique que le travail de la JIRS constitue « une prise de conscience précieuse au niveau des acteurs de terrain », alors que selon lui, l’Etat est dans une situation de « déni » face à cette violence organisée. Le collectif anti-mafia Massimu-Susini soutient pour sa part « les propositions de la JIRS » et se félicite qu’elle « reconnaisse qu’une mafia est à l’œuvre en Corse ».
Jacques Follorou – Le Monde – 27 octobre 2021