Communiqué – Rapport 2020 JIRS de Marseille sur la criminalité organisée corse

1) Face « au caractère exceptionnel du banditisme corse », des magistrats appellent à la création d’un pôle antimafia en France.

Dans un article du journal Le Monde publié samedi 23 octobre 2021, Jacques Follorou fait état de l’existence d’un rapport émanant de la Juridiction Interrégionale Spécialisée (JIRS) de Marseille qui a été remis au début de l’année 2020 à la chancellerie.

Dans ce rapport d’une centaine de pages qui portent sur les moyens de lutte contre la criminalité organisée en Corse, sont listés les principaux griefs de ces acteurs de terrains. Désormais, plus de litote, on ne parle plus de « dérive », mais bien des moyens de faire face au « système mafieux », défini comme « l’interpénétration du banditisme, de l’économie et de la politique ». Une première en France.

Les magistrats font ainsi part de leurs difficultés à enquêter sur le terrain, des moyens humains et des techniques limités, mais également des difficultés en termes de réponses judiciaires.

Pour appuyer leurs propos, les auteurs ont détaillé plus de 10 ans de faits criminels montrant des acteurs organisés et puissants qui gangrènent le territoire corse. Selon eux, « les nombreux règlements de comptes ont pour cause non seulement le contrôle des marchés illicites – stupéfiants, jeux, machines à sous – mais aussi des activités légales – sécurité, spiritueux, immobilier.».

La JIRS face à ce panorama criminel peut afficher quelques satisfactions comme la « déstabilisation et l’affaiblissement de clans criminels », mais globalement elle fait le constat d’un échec à long terme (on rappellera que l’année 2020 a également été une année marquée par les morts violentes, malgré un contexte de confinement général).

Toutefois, plusieurs axes d’améliorations sont précisés, comme la création d’un « service de police judiciaire unique » réunissant police et gendarmerie, d’une cour d’assise spéciale composée uniquement de magistrats expérimentés (comme pour le trafic international de stupéfiants) ou l’extension du statut de « collaborateur de justice » aux personnes ayant pris part à un projet criminel ayant entraîné la mort (comme c’est le cas en Italie).

2) Un constat d’échec partagé

Comme pour les auteurs du rapport, nous ne pouvons que souligner cet échec dans la lutte contre la mafia et souscrire à leurs souhaits d’améliorer l’outil judiciaire pour faire reculer cette criminalité en Corse.

Ce constat a été fait en 2019 avec la création de deux collectifs suite à la mort d’un militant qui s’était opposé à cette criminalité sur son territoire. L’assassinat d’un activiste environnemental, d’un citoyen. Une mort de plus diront certains. Pour toute une société un électrochoc qui a réveillé les consciences et qui a permis une démocratisation plus importante de cette question.

Certes, il n’y a pas ici de surprise, puisque pour tous les observateurs avertis, cette situation délétère est due à une inattention des autorités qui provoque un véritable sentiment d’impunité chez les criminels. Néanmoins, cette prise de conscience au niveau des acteurs de la lutte de terrain est précieuse, car elle permet de comprendre qu’il y a effectivement un problème majeur et qu’il est urgent de le régler.

Malgré tout, la chancellerie et donc l’Etat ne souscrit pas à ces constats : un déni acté.

Pour eux, l’organisation actuelle de la JIRS « fonctionne plutôt bien ». Une non-réponse, qui, eut égard aux assassinats visant désormais des personnes totalement étrangères à ces règlements de comptes, est véritablement inappropriée.

3) Un enjeu de démocratie

Face à ces informations capitales dans le cadre de la lutte antimafia, nous exigeons du ministère de la Justice :

  • La publication de ce rapport (expurgée de la partie confidentielle)
  • Une réponse officielle de la Chancellerie face à la situation décrite
  • La tenue d’un débat politique à l’assemblée nationale
  • Que soit proposée au vote la loi sur le délit d’association mafieuse qui a remporté de grandes victoires contre la mafia en Sicile et en Italie.
  • Que soient auditionnés les acteurs de terrain, repentis, militant.e.s, collectifs, associations mais aussi les chercheur.e.s et les journalistes d’investigation.
  • Que l’État français trouve le courage et la détermination de regarder la mafia dans les yeux, et de lutter contre elle, autant sur son sol qu’à échelle européenne.

Le Monde – 23 octobre 2021 – Jacques Follorou